Image de soi et troubles du comportement alimentaire
Quels liens peuvent exister entre l’image de soi et les troubles des comportements alimentaires (TCA) ? À travers cette analyse, je vous invite cheminer dans les sentiers de ma réflexion d’experte en TCA.
Corps, narcissisme et objectivation
Le corps, au moins depuis le XVIe siècle selon Vigarello, est plus ou moins perçu comme un objet malléable, représentant social de ce que nous sommes (1). L’approche clinique psychanalytique s’intéresse à « l’image inconsciente du corps, (comme une représentation) propre à chacun : elle est liée au sujet et à son histoire » (2).
Dans le cadre de ce travail, c’est cette perception de notre corps qui est centrale. Je rejoins la position de Bruchon-Schweitzer qui la définit : « comme l’ensemble des sentiments, attitudes, souvenirs et expériences qu’un individu a accumulés à propos de son propre corps et qui se sont plus ou moins intégrés dans une perception globale » (3). L’utilisation des médias sociaux interfère directement sur cet élément, soit par un biais narcissique attractif entre le soi et l’autre, soit tendant à le réduire à une fonction d’objet (4).
La représentation de soi peut mener à la mise en scène de soi (5). Notamment à travers les selfies ou égoportraits. Bien que datant du XIXe siècle, la généralisation de ces autoportraits photographiques commence seulement dans les années 2003 : quand Sony invente le premier téléphone cellulaire équipé d’un appareil photographique. Flirtant entre narcissisme et attraction, « le selfie est une image prise à la limite de cette relation, entre le moi et l’autre, où le moi invoque sciemment le regard de l’autre et y répond » (6). Dès lors le corps exposé, montré, est objectivé.
Égoportrait ou publicité, les chairs deviennent un objet stéréotypé. Sans cesse comparé pour être évalué afin de déterminer sa valeur dixit notre valeur personnelle, il doit être mince, musclé c’est-à-dire sans « gras » et attrayant (7). Les femmes d’actrices deviennent décors marketing qui favorisent la vente (5,8). Avec la numérisation dont les médias sociaux, la dérive s’accélère, quel que soit l’âge, le sexe (9). Comme chez les adolescentes, « les médias de masse, puissants transmetteurs d’idéaux, leur ont appris qu’elles seront jugées majoritairement sur leur apparence physique, et, plus particulièrement, sur leur corps » (10). Objectivation mise en scène sur les médias sociaux, et hashtags y faisant référence.
Image de soi et paradoxe d’une matérialité pondérale
Dans nos sociétés occidentales, le corps est souvent ramené à sa matérialité physique et visible : sa musculature, ses chairs, son apparence. Alors que l’humanité n’a jamais connu une telle pandémie de surpoids et d’obésité, le culte de la minceur est prôné et véhiculé. Sociétés qui nous confortent par là-même à un paradoxe pondéral. Dès lors peut poindre une insatisfaction corporelle chez certains individus, même ceux ayant un indice de masse corporelle (IMC) qualifié de normal. Pourquoi ?
L’évolution du marché alimentaire depuis les 50’s a été bouleversée (11). Or cette facilité d’accès, cette profusion, cette exposition permanente, ces modifications sociétales, et ces ingestions de boissons et aliment high fat, sugar and salt (HFSS) avec l’augmentation parallèle de la sédentarité sont les principaux facteurs de nos modes de vie obésogènes. Ainsi différentes études montrent des relations fortes et négatives entre l’internalisation de biais de poids et les résultats en matière de santé mentale (12,13). Entre stéréotypes négatifs, discrimination, et stigmatisation sociale (14,15).
Pourtant les masses médias, dont sociaux, véhiculent des images corporelles qui tendent vers un idéal de minceur si possible musclé (16). En outre, un apparent bonheur est exposé et accompagné d’images sublimées (David & Ezan, 2018, p. 264) bien au-delà du niveau de vie médian de la majorité des citoyens soulignant la fracture sociale explicitée par Miège, pouvant renforcer chez les plus vulnérables une diminution de l’estime personnelle (17–19).
Comme chez les adolescentes (20). Si Facebook®, Instagram®, YouTube® sont largement étudiés, la littérature sur notre thématique relative à TikTok® concernant principalement les préadolescents et adolescents, est plus rare (21,22). Il en est de même pour Snapchat®. L’hégémonie croissante des médias sociaux, par le biais de la numérisation de nos sociétés, s’invite de plus en plus dans nos quotidiens, définit les normes corporelles et participe à la construction de nos identités (8,9,22–32). Ce grâce aux outils modernes toujours plus évolués qui permettent une comparaison sociale sans précédent. Or sur quelles images se basent ces comparaisons ?
Comparaison, images présentées souvent optimisées, comment savoir où est la « norme » ? Si norme existerait… Comment savoir qui je suis, ce que je suis et ce que je devrais être ? Seulement un corps physique ? Est-ce cette image qui détermine ma valeur intrinsèque ? Ne suis-je que le reflet de moi-même ? Où en suis-je ?
Seule une volonté globale fusionnant en un élan de l’ensemble des parties prenantes et de la recherche des services transformateurs peut amener l’homo numericus à retrouver l’essence de son être (33). À défaut il deviendra seulement un reflet, dans cette « nouvelle religiosité (que) sont la communication permanente, la séparation physique et la fin de la rencontre directe, un rapport de déni à la loi et à la médiation, la confusion entre la représentation et le représenté, entre le virtuel et le réel » (34).
Et si vous preniez rendez-vous pour en discuter par rapport à vous ?
Bibliographie
- Vigarello G. Le Corps redressé. Éditions du félin. Paris; 2018. 448 p. Available from: https://editionsdufelin.com/livre/le-corps-redresse
- Dolto F. L’image inconsciente du corps. Média Diffusion; 2014.
- Bruchon-Schweitzer M. L’image du corps de 10 à 40 ans: quelques facettes de cette image d’après le questionnaire QIC. Bulletin de psychologie 1987;40:893–907.
- Askegaard PS, Beji-Becheur PA, Paris-Est U, Bree PJ, de Franche-Comté U, Decrop PA, Derbaix PC, Desjeux PD. Secrétaires d’édition : Joël Brée, Eric Rémy, Céline Hay & Claire François. 2018;298.
- Goffman E. La mise en scène de la vie quotidienne. Tome 1. La présentation de soi. Paris: Minuit 1973;110–1.
- Merlo M. Le narcissisme d’une «nouvelle» forme d’autoportrait ou l’égoportrait comme photographie-attraction. 2020;
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- Van Dessel S, Loir E, Kervyn de Meerendré N. L’objectivation et la perfection des femmes dans la publicité. La perception des consommateurs vis-à-vis des femmes représentées dans des campagnes publicitaires et ses effets sur la marque et sur eux-mêmes. 2017;
- Vihar N. Centre for Reforms, Development and Justice. 2018;102.
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Maylis
21/07/2022 at 17:56Passionnant !
Merci pour cet article